L'influence de la société
Le degré d’acceptation des migrants ou la façon de percevoir les campagnes antitabac: le psychologue Juan Falomir-Pichastor étudie comment les contextes sociaux et les mécanismes identitaires peuvent déterminer notre manière d’agir, de penser et de ressentir les choses.

Pas forcément: nous sommes tellement flexibles dans notre fonctionnement psychologique que
nous réussissons à faire tout et son contraire sans nécessairement en percevoir l’incohérence.
Le mécanisme qui permet le maintien d’une identité de soi positive malgré le fait d’exprimer des préjugés a été bien étudié. Ces préjugés sont cachés, parce qu’ils se manifestent de manière implicite ou dans des contextes tels qu’ils permettent de garder de soi l’image de quelqu’un qui n’a pas ces préjugés. Il existe aussi une stratégie qui permet l’octroi de crédits moraux et qui pourrait se résumer par cette phrase: «Moi, de toute façon, je ne suis pas raciste, mais…» On peut aussi rejeter la responsabilité sur les autres. Les attitudes hostiles et restrictives sont alors justifiées par la manière d’agir de l’autre.

Dans des études menées en Suisse sur des conflits armés (prétendument véridiques, mais en réalité fictifs), on a observé que, d’une manière générale, la décision d’attaquer un pays non démocratique prise par un pays démocratique était plutôt mieux perçue que le contraire. On a aussi directement posé la question aux participants: dans quelle mesure soutiendriez-vous une intervention validée par la communauté internationale, en sachant qu’il pourrait y avoir X milliers de morts?
Les résultats ont montré que le nombre de morts qu’on serait capable d’accepter varie en fonction de l’appartenance démocratique ou pas des victimes.
Les actes agressifs des démocratiques vis-à-vis des non-démocratiques sont considérés comme plus légitimes.
Un vrai homme doit être hétérosexuel pratiquement dans toutes les cultures. Plus les hommes adhèrent à cette définition de la masculinité, plus ils manifestent des attitudes négatives envers l’homosexualité. De fait, ils veulent se différencier des homosexuels afin de montrer qu’ils sont de «vrais» hommes. Mais paradoxalement, quand on dit à ces hommes que les homosexuels sont biologiquement différents, argument supposé «gay friendly» (bienveillants à l’égard des homosexuels, ndlr), ils sont soulagés.
Parce que la différenciation nécessaire sur le plan identitaire est accomplie par la biologie. Ils ont à ce moment-là des attitudes plus positives envers les homosexuels.
On observe aussi des mécanismes de différenciation par rapport au type de loi sur le mariage. Ces hommes traditionnels s’opposent moins à l’égalité des droits pour les homosexuels (par exemple dans les questions d’adoption, des impôts ou du permis de séjour) si ces droits sont présentés sous forme d’union civile plutôt que de mariage. Autrement dit, les mêmes droits sont beaucoup mieux acceptés s’ils portent une étiquette différente.

En essayant de changer des comportements importants pour l’individu, les experts activent en général des motivations défensives. Parce que l’expertise est gênante. Un fumeur sait très bien que fumer n’est pas bon pour la santé, et la gêne vient du fait qu’il ne peut pas dire à l’expert qu’il a tort. A un moment donné, le fumeur est tellement obligé de reconnaître les torts de son comportement que cela augmente les blocages.
On a pu montrer que si les mises en garde venaient non pas d’experts, mais par exemple d’une association de quartier, le message était mieux accepté.
Parce que là, on est dans l’échange, ce n’est pas quelqu’un qui détient la vérité et le fumeur qui doit l’accepter sans autre.
Texte: © Migros Magazine | Laurent Nicolet
Auteur: Laurent Nicolet
Photographe: Guillaume Megévand