La biodiversité augmente dans les forêts
Les surfaces boisées constituent l’unique milieu naturel en Suisse à accueillir un nombre croissant d’espèces vivantes. Mais les experts restent prudents et préconisent plusieurs mesures visant à renforcer leur état de santé.

Insatisfaisant. Le constat de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) concernant l’état de la biodiversité en Suisse est sans équivoque, rappelant que près de la moitié des milieux naturels et un tiers des espèces sont aujourd’hui menacés. Les organisations écologistes ont beau tirer la sonnette d’alarme depuis plusieurs années, «une majorité de la population continue à penser que la nature est bien préservée en Suisse, regrette Rita Bütler de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL). Ils ont en tête les jolis paysages verts helvétiques… Mais cela n’est pas représentatif! Depuis 1900, les prairies et les pâturages secs riches en fleurs ont disparu à 95%. Et le constat n’est guère plus réjouissant pour les marais, éradiqués à 82%.»
La bonne nouvelle dans tout ça? Elle est à chercher du côté des forêts, qui recouvrent près du tiers du territoire suisse. Le Rapport forestier 2015 de l’OFEV juge l’état des surfaces boisées helvétiques comme «relativement bon». Et notamment en ce qui concerne sa biodiversité qui, depuis les années 1990, suit une évolution positive. Un bilan qui contraste donc avec les autres milieux naturels du pays...
Il faut dire que la Confédération s’est montrée particulièrement avant-gardiste en ce qui concerne la préservation de la forêt.
En 1876 déjà, Berne prenait des mesures – que l’on qualifierait aujourd’hui de «développement durable» –, en s’efforçant de ne couper davantage de volume de bois qu’il en pousse.
«Les forêts ont été surexploitées lors de la phase d’industrialisation, poursuit la responsable romande de l’interface recherche-pratique au WSL. Avec pour conséquence des inondations, des chutes de pierres, des avalanches et des glissements de terrain.»
Les politiciens de l’époque ne pensaient encore guère à la biodiversité… on a surtout réalisé que la forêt nous protégeait contre les phénomènes naturels!»
Le bois mort, source de vie
Malgré ces mesures précoces, le tableau reste nuancé en ce qui concerne la biodiversité en forêt. «Nous observons une augmentation des populations d’oiseaux, d’ongulés sauvages comme le cerf, le chevreuil et le sanglier, ainsi que le retour de grands prédateurs comme le lynx et le loup, explique la biologiste. En revanche, les 6000 espèces forestières tributaires de la présence de vieux arbres et de bois mort sont encore en grande partie menacées. Cela concerne certains oiseaux, des insectes tels les coléoptères, des champignons ou encore des lichens.»
Un principe qui n’est pas toujours facile à faire comprendre aux propriétaires... «Ils ont trop souvent l’idée qu’une forêt bien gérée doit être débarrassée de tous ses arbres secs. Le défi consiste aujourd’hui à augmenter les récoltes de bois de chauffage en forêt tout en préservant les ressources de bois morts.» Un autre moyen est d’accroître les zones boisées laissées à l’état naturel, sans aucune intervention humaine. Ces surfaces représentent aujourd’hui entre 2 et 3%, le but de la Confédération est d’atteindre 7%.
Le coup de pouce de l’homme
Un autre enjeu consiste à faire parvenir davantage de lumière dans les forêts, en y organisant des coupes de bois. «Depuis quelques décennies, le volume sur pied est en augmentation, indique l’experte en sylviculture. Une évolution néfaste pour les espèces héliophiles, qui aiment la lumière et la chaleur, tels que les orchidées et les papillons.» Car contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas seulement dans les forêts à l’état naturel que l’on recense les plus hauts taux de biodiversité. «Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la forêt était encore pâturée par les animaux domestiques sur de larges parties du territoire. Il n’y avait donc pas de séparation nette entre la forêt et les zones agricoles.»
C’est cette utilisation hybride qui a permis d’y développer une biodiversité très riche.»
Aujourd’hui ne subsistent que peu de forêts qui connaissent ces mêmes caractéristiques. A l’image des pâturages boisés, typiques des crêtes jurassiennes. «Malheureusement, ces terrains agricoles sont très menacés. La tendance dans l’agriculture est de produire de manière intensive en plaine et d’abandonner les terres marginales en altitude.»
Une perte du point de vue de la biodiversité, mais aussi esthétique et culturelle.»
Le calme avant la tempête?
Reste que la vitalité de la biodiversité en forêt est tributaire de l’état de santé des arbres. «Certes, le dépérissement des forêts craint dans les années 1980 n’a pas eu lieu, indique Rita Bütler. Les émissions de soufre par exemple ont pu être contrôlées grâce à l’ordonnance sur la protection de l’air en 1986.» Mais d’autres dangers guettent aujourd’hui les surfaces boisées, notamment les dépôts azotés trop élevés et les espèces exotiques invasives comme le capricorne asiatique et un champignon causant le flétrissement du frêne. «La santé de la forêt est mise à rude épreuve, conclut Rita Bütler. Et elle le sera encore davantage à l’avenir en raison du réchauffement climatique...»
Entretien
«Les bûcherons viennent en aide à la biodiversité»

Jacqueline Bütikofer, collaboratrice scientifique à ForêtSuisse, l'Association des propriétaires forestiers (anciennement «Economie forestière Suisse»).
L’intervention humaine crée des écosystèmes plus variés en forêt et permet de diversifier les essences.
© Migros Magazine | Alexandre Willemin
Auteur: Alexandre Willemin