«Il y a de grands mensonges sur la difficulté d’être parent aujourd’hui»
Le psychologue Patrick Estrade constate que de plus en plus de femmes viennent dans son cabinet pour exprimer leurs doutes et leurs craintes face à la maternité. Elles se livrent ainsi à un exercice encore tabou parce que enfanter reste pour la majorité un événement heureux.

C’est peut-être ce retour à l’intériorité qui a conduit les femmes à davantage conscientiser la maternité ou le projet de maternité.
avoir un bébé, c’est un peu comme si on mettait du printemps dans sa vie!
Je veux bien admettre qu’il puisse y avoir un instinct maternel, mais pas inné. Plutôt une disposition innée qu’il conviendrait de développer.
C’est Winnicott qui parlait de la mère suffisamment bonne. Avec l’un de mes confrères, on se disait qu’être une maman notée à 12 sur 20, ce serait déjà bien. Quand j’en parle, les femmes sont un peu étonnées: «Douze seulement!» Mais c’est déjà pas mal, cela signifie que c’est une maman au-dessus de la moyenne, qui prend aussi du temps pour elle, pour son couple, pour son travail… Ce que je dis souvent, c’est que le cœur d’une mère ne se divise pas, il se multiplie.

La pression est terrible et il y a un drôle de tabou qui existe autour de cela. Parce que l’idée de la découverte sublime de la maternité, de l’enfant, cette idéalité extrême que l’on projette sur la femme tente à faire disparaître l’autre aspect des choses, c’est-à-dire tous les désagréments. Si les femmes pouvaient déposer plus librement leurs doutes, leurs craintes, leurs angoisses, leurs sentiments d’imperfection, de fragilité, d’incapacité face à toutes les tâches qui les attendent, eh bien, je pense que ça leur permettrait de ne pas culpabiliser et peut-être aussi de ne pas essayer de devenir une «superwoman» à la fois «top maman» et «top femme» qui doit assurer dans tous les domaines.
ces écueils pourraient souvent être évités s’il y avait une préparation psychologique en amont. Et sans se mentir!

Oui, ce sont les mêmes questions, mais vues par les hommes: Est-ce que je vais être un bon père? Est-ce qu’elle fera une bonne mère? Est-ce que mon couple est assez solide pour que je puisse envisager de fonder une famille? Ils ont aussi souvent des hésitations par rapport à tout ce que cela va entraîner du point de vue financier et organisationnel. Mais je pense que les hommes se posent mieux les bonnes questions qu’auparavant. Ils se sont émancipés, eux aussi, et cette émancipation leur a permis de s’ouvrir à davantage de sentiments, d’écoute de soi, d’accueil, de tendresse…
Le patriarcat a laissé quelques traces en nous, c’est évident.
La maternité et la paternité sont sans raison.
Texte © Migros Magazine – Alain Portner
Auteur: Alain Portner
Photographe: Stéphanie Tétu / La Company