Nino Rizzo: «Un adolescent, c’est l’équivalent d’une bonne psychothérapie pour les parents»
Et si la crise des enfants était aussi celle des parents? Dans «Parents d’adolescents: une crise peut en cacher une autre» le psychologue genevois Nino Rizzo se penche sur le cas de ces grands oubliés que sont le père et la mère.

Loin de là. C’est même peut-être le job le plus difficile. Etre parent n’est déjà pas facile en soi, mais parent d’adolescent, c’est vraiment le pic!
Sans doute. Les repères ont changé à une vitesse inégalée et, pour beaucoup, accompagner son enfant dans un monde qu’ils ne comprennent plus, ou moins bien, se révèle difficile. De plus, la famille s’étant réduite à un format nucléaire – quand les parents sont encore ensemble – le réseau de protection que constituait la famille élargie a disparu. Les parents se retrouvent seuls et souvent très démunis.
Oui, ils sont même plus largement les grands oubliés de la psychothérapie. On s’occupe de plus en plus des enfants, des bébés, de périnatalité… Et au milieu de tout ça, les parents sont laissés de côté, comme si leur rôle allait de soi alors qu’en réalité il va de moins en moins de soi.
Certainement, mais je crois qu’il est important d’écouter ces parents. Ce matin encore, j’ai reçu un couple venu me parler de leur fille préadolescente. Le père et la mère se posaient des questions au sujet de l’autorité, des sorties et des médias sociaux.
La plupart du temps, il n’y a pas besoin de rencontrer l’enfant, car le problème vient au fond des parents, de leur manque de repères: il suffit de les aider à les retrouver.
Quand ils se questionnent au sujet de leur enfant, les parents viennent assez vite à l’idéalisation de leur propre adolescence avec l’idée que «c’était mieux avant». Inévitablement, on passe par là, mais l’important est d’en sortir et cela n’est pas toujours possible de se poser les bonnes questions, de sortir de l’idéalisation qu’elle soit positive ou négative. C’est là-dessus que tout parent doit travailler: mettre de côté, dans une certaine mesure, son vécu pour laisser la place à son enfant, à ce qu’il est en train de vivre, et réaliser que ses réactions sont souvent le reflet de sa propre expérience.

La crise du milieu de vie, ou du mitan comme on l’appelle, comporte des changements aussi bien physiques – ménopause pour la femme, andropause pour l’homme – que parfois professionnels – certains font la douloureuse expérience du chômage. Mais c’est surtout à cette époque que le couple parental est souvent mis à mal: les parents se retrouvent avec des enfants qui souvent ne veulent plus partir en vacances avec eux et s’éloignent progressivement. Le couple se trouve alors confronté à la délicate question: «Et nous deux, qu’est-ce qu’on fait?» Tout cela n’est pas facile à entendre au moment où son fils ou sa fille est sur le point de se lancer dans la vie alors que, de son côté, l’heure est à un certain renoncement. Les parents d’adolescents ont besoin d’aide, surtout lorsqu’ils entrent dans une crise ouverte.
Je pense qu’il est bon pour l’adolescent que les parents lui laissent entrevoir leur crise du mitan, en y mettant les formes, et sans lui demander de porter leur tristesse.
C’est en effet un jeu auquel nous sommes tous tentés de jouer, aussi bien dans la relation parent-enfant que dans la relation de couple: se cacher derrière les difficultés de l’autre.
C’est terrible, mais tout parent est obligé de passer par là. Les enfants ont le droit d’être déprimés, révoltés, de leur faire des reproches, même si les parents ont fait de leur mieux.
Cette étape dite de «l’âge bête» est nécessaire. C’est plutôt l’absence de crise qui est inquiétante.
Certes, mais c’est une occasion de croissance pour les parents, car en revivant, à travers leurs enfants, des expériences parfois mal vécues de leur propre adolescence, ils ont la possibilité de revisiter leur histoire, de la comprendre et d’évoluer. Au final: un enfant adolescent, c’est l’équivalent d’une bonne psychothérapie pour les parents!
L’important est de rester à sa place de parent. L’adolescent est très content de partager pour autant que son père ou sa mère ne se montrent pas intrusifs. Tout adolescent a besoin à un moment donné de vivre la colère, le rejet et la haine, et le meilleur laboratoire pour exprimer ces sentiments violents, c’est la famille.
La configuration est différente. Ces enfants ont été marqués par l’abandon et l’arrivée de l’adolescence marque pour eux une nouvelle séparation. Une foule de questions se heurte dans leur tête: «Vais-je pouvoir grandir tout en m’opposant à mes parents», «vont-ils encore m’aimer?» Cette fragilité se retrouve autant du côté des enfants adoptés que des parents adoptifs. Ces derniers ont d’ailleurs dû affronter des années de démarches administratives avant d’avoir leur enfant et ont tellement donné qu’ils pensent qu’après tout cela, tout se passera bien. Eh bien non, les enfants adoptés sont, en tout cas, comme tous les enfants et passent aussi par cette crise.
J’en suis convaincu. Je n’ai jamais rencontré de cas démontrant le contraire. Souvent, le lien entre enfants adoptés et parents adoptifs prend plus de valeur une fois la crise d’adolescence passée. Le lien ne rompt pas, il se transforme.
© Migros Magazine – Viviane Menétrey
Auteur: Viviane Menétrey
Photographe: Alban Kakulya