Migros au féminin
Ce 14 juin 2019 aussi, les femmes suisses descendront dans la rue pour davantage d’égalité. Six collaboratrices s’expriment sur ce que le plus grand employeur privé suisse fait – et devrait encore faire – pour la promotion de la femme.

«Je ne me suis jamais sentie désavantagée»
Il est pile 4 heures du matin lorsque Conny Bircher, âgée de 34 ans, attache la remorque de son poids lourd. Elle range des câbles d’aération et de réfrigération puis grimpe au volant. Son camion est chargé de pain, lait, fromage, yogourts, fruits et légumes qu’elle achemine vers un magasin.
Conny Bircher est l’une des trois conductrices de camion de la coopérative Migros de Zurich. Elle compte 90 collègues hommes. «Je n’avais pas peur d’exercer un métier masculin», confie la Zurichoise. C’est pendant son apprentissage d’employée spécialisée de commerce de détail qu’elle a découvert son amour des camions.
Durant mon temps libre, je partais avec les chauffeurs qui nous livraient.
Elle passe alors au secteur logistique. À l’époque, il y a onze ans, elle faisait encore figure d’exception. «Bien sûr, j’aurais aimé côtoyer plus de femmes, confie- t-elle. Mais je m’entends bien avec mes collègues et je suis bien acceptée.» Elle ne s’est encore jamais sentie désavantagée, pas même sur la question salariale.
Que pense-t-elle de la grève des femmes et de la conciliation entre famille et travail? La conductrice ne s’est pas encore penchée sur ces problématiques. «J’aime conduire. Pour l’instant, c’est le plus important», conclut-elle avant de mettre le contact en marche.

«Il faut être confiante et se dire qu’on peut le faire»
Eliana Zamprogna Rosenfeld, 45 ans, a toujours eu plus de collègues masculins que féminins. «En tant qu’ingénieure chimiste, ce n’est rien d’inhabituel pour moi.» Mais elle a vite compris qu’une femme doit travailler dur et être performante pour avancer professionnellement. La manager résume:
Nos bons résultats sont la meilleure des cartes de visite,
Forte de cette devise et son titre de docteure en poche, la spécialiste commence sa carrière dans le secteur technologique. «J’ai veillé à intervenir dans des équipes où les talents et les bons résultats sont reconnus.»
Elle a aussi terminé une formation en management alors qu’elle attendait son premier enfant. «Certains collègues trouvaient que c’était ‹trop›.» Elle avait conscience des conventions sociales, «mais c’est ma famille et moi qui avons décidé de ce qui était possible pour concilier famille et travail. Les femmes devraient être confiantes et se dire qu’elles y arriveront.»
Le potentiel de la question féminine
Depuis deux ans, Eliana Zamprogna Rosenfeld est cheffe de la technologie à la M-Industrie. Elle y traite des thèmes d’avenir tels que comment se nourrir de façon saine et dans le respect de l’environnement. La question des femmes dans les postes de direction peut aussi encore progresser, dit-elle. «Dans la plupart des organes exécutifs, les hommes sont majoritaires.
Les femmes pouvant prétendre à de telles fonctions sont-elles vraiment si rares?
Selon elle, une entreprise qui soutient les femmes améliore sa diversité et ses résultats, ce qui est souvent sous-estimé. Elle trouve aussi que la grève des femmes est une bonne idée: «Elle donne aux questions d’égalité des sexes une visibilité et une charge émotionnelle, comme avec la grève pour le climat.»

«Ma famille m’occupait à plein temps»
Elle avait tout juste 20 ans quand elle a rejoint Migros, en 1943. Après avoir suivi le séminaire pour vendeuses à Muttenz (BL), Violette Felder, aujourd’hui âgée de 95 ans, décroche un poste à Zurich et devient peu de temps après l’une des rares femmes à prendre la gestion de «son» magasin.
Elle y travaillait souvent de 6 heures à 20 heures, se chargeant des inventaires, des commandes et de la réception de la marchandise, de la décoration des locaux et elle servait un grand nombre de clients elle-même.
Un jour, elle a été convoquée à une séance avec Gottlieb Duttweiler. «Je ne savais absolument pas de quoi il s’agissait, j’étais anxieuse. Sur place étaient réunis les directeurs de magasins de Zurich, dont une majorité d’hommes expérimentés.
Je me suis faite toute petite, car je ne voulais pas attirer l’attention.
Puis Gottlieb Duttweiler a demandé comment l’on pouvait expliquer que le chiffre d’affaires de la plupart des magasins baissait alors que le mien enregistrait une croissance de 27%.» La jeune femme avait la réponse: cela tenait à la façon encore inhabituelle pour l’époque qu’elle avait de disposer les produits. Pendant que les clients attendaient d’être servis – au début des années 1940, il n’y avait pas de libre-service –, ils regardaient les étalages. La jolie présentation les incitait à acheter plus que prévu.
Lors de cette réunion, Gottlieb Duttweiler a promis que les femmes employées dans les magasins recevraient dorénavant le même salaire que les hommes. Violette Felder a quitté son poste en 1948, au moment de son mariage. Ce choix était courant à l’époque. «Ma famille m’occupait à plein temps. On faisait alors encore tout à la main.»

«De nouveaux modèles sont nécessaires»
Hedy Graber, 58 ans, responsable de la Direction des affaires culturelles et sociales de la Fédération des coopératives Migros (FCM) depuis quinze ans, vit les questions de l’égalité des sexes et des chances au quotidien: «Il relève de notre mission de nous saisir de ces thématiques dans le domaine social», estime-t-elle, en déplorant que la «question des femmes» ne soit toujours pas réglée. À ses yeux,
il est indispensable d’en parler, l’égalité des sexes n’étant encore pas atteinte sur plusieurs points.
Elle juge injustifiable la persistance des discriminations salariales, pensant qu’«il est grand temps d’en finir avec la manière dont notre société se représente encore largement le rôle des femmes». Hedy Graber fuit aussi les stéréotypes comme la peste: «Je fais très attention à les éviter.» Ce n’est pas un hasard:sa mère, Hedy Salquin, a été la première cheffe d’orchestre de Suisse.
L’importance du soutien de l’entreprise
Pour cette femme de culture, le succès ne consiste pas tant à gravir les échelons qu’à trouver du sens à son travail. «Je ne veux pas décrocher un poste tout simplement parce que je suis une femme», insiste-t-elle, révélant au passage qu’elle pense des quotas.
Cependant, l’évolution des femmes au sein des entreprises passe par des modèles forts, qui démontrent que tout est possible ainsi que par une direction qui, à chaque décision de ressources humaines, prend en considération la question féminine.
Il nous faut de nouveaux modèles, qui ne parlent pas seulement aux femmes, mais aussi aux hommes,
ajoute-t-elle. «Et il faut les mettre en pratique au quotidien.» C’est déjà le cas pour l’équipe de direction d’Hedy Graber: «À part moi, tous travaillent à temps partiel. Ce n’est pas toujours évident, mais c’est possible et nécessaire.»

«À la maison, il m’arrive de faire la grève»
Je suis ce qu’on appelle «un enfant Migros». Ça veut dire que j’ai fait mon apprentissage de vendeuse au sein de l’entreprise et que je ne l’ai plus quittée depuis. Peu de temps après ma formation, j’ai été nommée responsable du secteur des produits laitiers. Ensuite, j’ai eu l’occasion de grimper les échelons. Toujours dans la même fonction, mais dans des supermarchés toujours plus importants.
À chaque fois, c’étaient des postes qui comportaient davantage de responsabilités et aussi un meilleur salaire. Au vu de mon expérience, j’ai le sentiment que les femmes sont considérées à Migros, qu’elles peuvent y évoluer. Même en étant mère de famille comme moi. En effet, j’ai toujours pu concilier ma vie privée et ma vie professionnelle, notamment parce qu’il a été possible, à la naissance de mon deuxième enfant, de négocier un temps partiel.
Aujourd’hui, comme mes deux garçons sont grands, je travaille à nouveau à 100%. En général, dans le monde professionnel, les femmes doivent davantage se battre que les hommes pour être reconnues. L’égalité entre les sexes n’est malheureusement pas encore une réalité,
il reste beaucoup trop de disparités, y compris dans la sphère familiale.
D’ailleurs, je n’attends pas le 14 juin pour faire valoir mes droits. À la maison, il m’arrive de faire la grève quand mes fils me prennent pour leur bonne. Mon mari, lui, est très cool: on se partage toutes les tâches ménagères. Je ne pourrais pas vivre avec un homme qui n’aurait pas cet esprit d’équité.»
«Les femmes sont très importantes pour Migros»

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